Nathanael, Cold Soldier | terminé

« Je suis si fier de toi, fils. »

Ce sont les derniers mots que j’ai entendu de mon père, avant d’entrer dans le camp d’entrainement d’Houston. Oui, il avait de quoi être fier. Je venais de signer pour entrer dans l’armée, pour défendre les droits des Sudistes. J’avais dix-sept ans, pourtant personne n’avait mis en doute ma parole quand j’avais affirmé en avoir vingt. J’étais grand, bien bâti, et j’avais déjà ce charisme qui faisait de moi un homme à qui on faisait naturellement confiance.
J’étais né dans une famille pas vraiment aisée, et j’étais entré au grade le plus bas de l’armée. Pourtant je ne terminai même pas mes classes : mon supérieur m’avait remarqué, et il m’avait promu sous-officier en un temps record pour un bleu de mon âge. Je ne pouvais pas me plaindre : mon rêve était de commander des troupes et de mener des batailles contre les armées Nordistes. J’étais jeune et naïf, je ne connaissais rien à la guerre, pourtant je savais que j’y consacrerais ma vie. Et j’étais loin de me douter à quel point j’avais raison …

En moins d’un an, j’ai gravi les échelons de la hiérarchie à une vitesse étourdissante, et quand j’eu droit à ma première vraie mission, j’étais major. Je venais d’avoir dix-huit ans, et des troupes entières se pliaient à mes ordres : cette sensation était absolument grisante.
Pour cette mission, je devais faire traverser à mes troupes une rivière, puis les faire rejoindre une ville que nous devions protéger contre des rebelles. Par chance, je ne rencontrai aucune difficulté à les mener, et le groupe de rebelles s’avéra être une troupe disparate d’abolitionnistes armés de pieux et de pioches. La facilité de l’affaire me laissa sur ma faim, et quand je pris congé de mes hommes, le soir, je me sentais bizarrement insatisfait. J’avais imaginé une armée à combattre, des coups de feu et une population reconnaissante, mais qu’avais-je au final ? Des hommes qui se souleraient toute la nuit pour profiter de leur paie, et des femmes qui claquaient leurs portes sans m’accorder un seul regard. J’étais jeune, je rêvais de gloire, je savais ce dont j’étais capable et ce que j’avais fait ce jour là était bien au dessous de mes capacités.
J’étais arrivé à la rivière que nous avions franchie l’après-midi même quand je les vis. Trois femmes absolument magnifiques qui me regardaient, leur peau blanche luisante sous la lueur de la lune. Une blonde, une brune et une rousse, toutes trois de types bien différent, et pourtant si semblables … Elles étaient seules, vêtues de robes qui ne payaient pas de mine, pourtant elles m’impressionnaient plus que de belles dames en calèches.
Je m’avançai, m’inclinai. Un gentleman se devait de saluer des dames le premier. La blonde et la rousse demeurèrent impassibles, mais la brune esquissa un sourire et inclina la tête à son tour. Quand elle prit la parole, sa voix chantante captura mon esprit et bloqua instantanément mes sens. Plus rien ne comptait plus que cette mélodie envoûtante.
« Bonsoir, soldat. Quel est ton nom ? »
« Major Nathanael Charwins, Madame. » Ma voix me semblait pâle et sans intérêt à côté de la sienne.
« Major ? Tu me semble bien jeune. »
La femme blonde à ses côtés haussa un sourcil mais ne fit aucun commentaire.
« Peu importe » Reprit-elle. « Tu as de l’expérience pour diriger des hommes, c’est tout ce que je souhaite. »
« Et bel homme, pour ne rien gâcher … » Minauda la rousse avec un sourire en coin.
La brune se tourna vers elle et elles échangèrent un regard entendu.
« Il fera l’affaire. Et tu sens ? Il a ce petit quelque chose ... » Dit la brune en coulant un regard vers moi.
La blonde leva les yeux au ciel mais la rousse hocha la tête avec force. Je ne savais pas de quoi elles parlaient, pourtant j’étais ravi. Ces créatures de rêve me trouvaient à leur goût.
La brune s’avança vers moi et me détailla de pied en cap, comme on examinerait un morceau de viande sur un étalage. Quand ses yeux se plantèrent dans les miens, je ne pus m’empêcher de sursauter : ses prunelles étaient rouges sang. Pourtant, je repris immédiatement contenance et feignit de n’avoir rien vu. Un problème hormonal expliquait sans doute cette couleur étrange, à moins que la lumière de la lune n’ait abusé mes yeux. La jeune femme en face de moi sourit plus largement et leva doucement la main pour caresser ma joue. Sa peau était glacée et des frissons remontèrent le long de ma colonne vertébrale, mais j’aurais voulu qu’elle ne retire jamais sa main de ma joue.
« Nathanael, veux-tu servir une noble cause, et te battre pour moi ? »
La blonde laissa échapper un ricanement, mais la brune ne détourna pas les yeux de moi, attendant ma réponse comme si je pouvais avoir l’idée saugrenue de refuser.
« Ce serait un honneur, Madame. Que dois-je faire ? »
« Rien, absolument rien … Pour l’instant. Sois un bon soldat, obéis et laisse-moi faire … »
Comment résister à un ordre pareil ? Sa main avait continué son chemin, dessina la courbe de ma mâchoire, souligna mes yeux puis alla caresser mes cheveux bruns coupés courts. Elle me tenait emprisonné dans ses yeux. Quand elle approcha ses lèvres de mon cou, je senti mon cœur s’accélérer. Jamais aucune femme ne m’avait touché de la sorte, et que ses deux compagnes nous regardent ne me gênait aucunement. Je me serais damné pour la moindre de ses caresses … Mais au lieu du baiser que je m’attendais à recevoir, je sentis ses dents s’enfoncer dans ma chair, et la torture débuta.

Elle m’avait mordu dans le cou, et je pus sentir le venin couler dans mes veines, s’infiltrant dans chaque infime parcelle de mon corps. La douleur était pire que tout ce que j’avais pu subir dans ma courte vie, c’était un supplice effroyable. Je me sentais brûler de l’intérieur, et mes suppliques, mes larmes n’y changèrent absolument rien. Je voulais mourir pour abréger mes souffrances, mais je restais conscient tout le long de ma transformation.
Après un temps qui me paru sans fin, la femme qui m’avait mordu prit la parole. Elle s’était assise à côté de moi, et me tenait la main en me caressant de temps en temps les cheveux, comme le faisait ma mère quand j’étais malade.
« Je m’appelle Elena, je suis une vampire. Si tu survis à ta transformation, tu deviendras à ton tour un vampire, et comme tu me l’as promis, tu serviras pour moi. Car j’ai besoin de toi, Nathanael. Il y a quinze ans, un clan m’a attaquée et s’est emparé de mes terres. J’ai été dépouillée, je n’ai plus rien. Je ne demandais rien, seulement à vivre en paix sur mes terres, mais ils m’ont déclaré la guerre. Grâce à toi, je vais reprendre ce qui me revient de droit. J’ai cherché longtemps avant de trouver quelqu’un qui sois digne de me servir, mais te voilà. Je compte sur toi, Nathanael. Dans deux jours, tu seras plus fort que n’importe lequel de ces voleurs et tu feras ma fierté. Imagines-tu la déception que tu me ferais si tu échouais ? Ou si tu mourrais avant même d’achever ta transformation ? Tu n’as pas le droit à l’erreur, Nathanael. »
Elle me parla ainsi pendant deux jours. Elle me raconta le bonheur d’être vampire et de pouvoir vivre libre sans se soucier des autres. Elle me raconta sa vie passée, puis l’arrivée du clan qui la dépouilla. Elle me parla de mes pouvoirs à venir, de ma force surhumaine qui allait être la clé de sa victoire. Elle me parla bien plus brièvement de ses compagnes, la blonde Moïra et la rousse Phélis, mais les deux vampires ne semblèrent pas s’en offusquer. Elles n’étaient que des pions, qui s’étaient alliées à Elena pour gagner les terres qu’elle voudrait bien leur accorder quand tout serait terminé.
Quand la douleur reflua, elle avait fait de moi un parfait soldat. J’étais fort, rapide, silencieux. Et surtout, je bouillais d’une rage inconditionnelle contre le clan qui avait osé dépouiller ma créatrice. Elle savait parfaitement ce qu’elle faisait en me créant : les nouveau-nés étaient généralement hors de contrôle, des machines à tuer qui n’écoutaient que leurs plus bas instincts. Mais en prenant soin de moi comme elle l’avait fait, elle avait réussi à faire passer ses besoins avant les miens. La soif qui brûlait dans ma gorge était à peine plus violente que ma colère.

« Nathanael, enfin. »
Le petit lutin blond qui se tenait devant moi me sourit en m’appelant par mon prénom. L’avais-je déjà rencontrée quelque part ? J’étais certain que non. Pourtant elle me semblait familière … Il émanait d’elle une sincérité qui effaça mes craintes, et je m’assis en face d’elle, confiant. Son visage se fendit d’un sourire plus large encore, et pour la première fois depuis des années, je me sentis paisible.

Ma guerre de cent ans venait de prendre fin, et j’étais devenu un maître dans l’art de la guerre. Elena et moi étions devenus quasiment invincibles, et nous menions batailles sur batailles sans en perdre une seule. Nos armées se faisaient décimer, mais nous les reformions aussitôt. Le charisme dont je faisais preuve étant humain s’était transformé en don qui me permettait de savoir exactement les émotions des personnes qui m’entouraient, et je pouvais influencer à ma guise ces émotions. Cela s’était révélé très pratique, durant ces années de guerre : les vampires sous mon commandement devenaient plus dociles, leur colère était plus dirigée. Mais les victoires ne m’apportaient plus aucune satisfaction, et ce depuis longtemps. La gloire dont j’avais rêvé étant humain, je la vivais chaque jour. Je savais que j’étais invincible mais je n’en retirais aucune joie. J’avais toujours eu besoin de modèles à dépasser, de limites à franchir, et j’étais arrivé au bout. Elena était la seule raison qui me forçait à rester, mais même cette raison là ne fut bientôt plus suffisante. Je m’étais rassasié bien trop longtemps de ses rêves de gloire et de ses mensonges, mais il me fallait plus que ça. Alors qu’elle jubilait en voyant nos massacres, je restais de marbre. De plus en plus souvent, je laissais les basses besognes aux nouveau-nés, me contentant de tourner la tête quand les chefs de clans étaient éliminés sous mon nez. Ce malaise grandit jusqu’à devenir insupportable, et je finis par rompre totalement les liens avec Elena. Je ne savais pas ce que je cherchais, mais je savais que je ne le trouverais pas avec elle.
J’avais quitté le Sud et je parcourais le Nord, où j’avais entendu dire que la vie, pour un vampire, y était beaucoup plus douce. En effet. Pas de guerres, pas de vendetta. Des clans de deux, voire trois individus, pas plus. Et des proies à profusion. Cette vie était totalement nouvelle pour moi qui n’avais jamais connu que la violence de la guerre. Mais même cette vie là ne me satisfaisait pas. Je ne comprenais pas mon problème, je tournais en rond comme un lion en cage. Même la chasse me mettait mal à l’aise. Quand je tuais, je ressentais la terreur de mes proies, je me souvenais de ma vie de mortel et je devais me faire violence pour continuer à me rassasier. Aurais-je pu faire autrement ? Me laisser mourir de faim ? Impossible. Je n’avais jamais connu la faim, c’était une épreuve au-delà de mes forces.

Et puis apparut le lutin. J’étais dans un bar, elle s’était dirigée droit vers moi de sa démarche dansante, et m’avait souri comme à un vieil ami.
« J’ai bien cru que tu ne viendrais jamais. Je ne savais pas quel jour tu apparaîtrais, je t’ai attendu pendant des semaines. Mais c’est terminé, tu es là maintenant. »
« Comment me connais-tu ? » Pour ma part j’étais certain de ne rien savoir sur elle, mais elle semblait être au courant des moindres détails de ma vie.
« Je t’ai vu. » Tout simplement.
Devant mon air dérouté, elle éclata d’un rire cristallin. Elle posa sa main sur la mienne d’un geste naturel et plongea ses yeux dans les miens. C’est à ce moment que je remarquai qu’ils n’étaient pas rouges, mais dorés. Magnifiques.
Elle s’appelait Vesper, et si elle savait déjà tout de moi, c’était grâce à ses visions. Elle savait beaucoup de choses sur moi, presque même plus que sur elle. Elle ne put pas me dire grand-chose de sa vie à elle, pourtant elle n’éludait jamais mes questions. Ce n’était pas de la mauvaise volonté, juste qu’elle ne pouvait pas faire autrement. Ma vie, contrairement à la sienne, avait été rythmée par les rencontres et la mort. La sienne venait de commencer, après un long voyage dans le noir dont elle ne souvenait pas. Elle avait vu que nous nous rencontrerions, et elle m’avait attendu. Pourquoi moi ? Elle n’en savait rien, mais elle était heureuse de m’avoir rencontré. Et étrangement, je l’étais tout autant. Je n’avais jamais vu personne comme elle, elle parlait avec une sincérité désarmante, me parlait de choses incroyables et pourtant, je n’avais qu’une envie : la croire. Et la suivre …
Nous parlâmes pendant longtemps, de nos vies, de nos espoirs, comme si nous nous connaissions depuis des années. La nuit était tombée depuis longtemps quand elle me parla d’Alister Bratford. D’après elle, il était la réponse à nos questions, la solution à nos problèmes. Lui et son clan avaient adopté un régime bien particulier. Ils ne tuaient pas d’humains, ils se nourrissaient d’animaux. Cette idée me fit sourire : je ne me voyais pas chasser des animaux, leur odeur était fade et sans intérêt à côté de celle des humains. Mais Vesper m’assura que je m’y ferais. Elle avait déjà commencé, et ce n’était pas si difficile … Avec un peu d’entraînement.

Une semaine plus tard, j’avais l’impression d’avoir vécu une vie entière aux côtés de Vesper. Et pour rien au monde je n’aurais voulu changer ça. Elle m’avait convaincu, et nous étions en route pour rencontrer cet Alister Bratford qui lui avait fait si belle impression. Elle en parlait très souvent, et grâce à ses visions, je voyais déjà ma vie avec elle, et avec eux. C’était tellement étrange … Elle m’assurait que nous serions bien accueillis, et surtout, que je cesserais enfin de souffrir une fois que je deviendrais végétarien. Sur ce point, j’étais sceptique, mais je ne voulais pas avouer ma faiblesse devant elle. Si elle pouvait y arriver, je le pourrais aussi. Et pour le moindre de ses sourires, j’aurais fait n’importe quoi …