Tides of time [Riley]

Elle avait failli se noyer lorsqu’elle était petite, pourtant, la mer n’était pas l’objet de ses phobies. Elle aimait beaucoup se promener sur la plage, seule ou accompagnée. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas participé à un feu de camp entre jeunes, à raconter des histoires qui font peur. Ce ne lui manquait pas à ce point, mais elle aurait bien aimé trouver assez de monde pour en faire une un soir prochain.
Ce soir, elle avait quelques devoirs à faire, mais aucune envie de se pencher dessus. C’était un peu comme si les menaces de punitions et rendez-vous chez le directeur n’avaient pas de prise sur la demoiselle. Pourtant, ce n’était pas faute d’être réprimandée par ses parents. Elle finirait par les faire, ne vous méprenez pas, mais pas tout de suite, pas maintenant.

D’abord, elle irait se promener sur la plage !

Elle ne prit pas la peine de poser son sac chez elle, en sortant de cours, elle l’amena avec elle. Elle ne fit pas d’arrêt chez elle pour prévenir de sa petite balade, ils comprendraient. Peut-être qu’elle croiserait quelqu’un, sait-on jamais. Peut-être même que ça serait Aaron ou Keisha. Elle les avait vu la veille, mais il fallait croire que ce n’était pas assez.

Arrivée près de la plage, la demoiselle se déchaussa, et les sandales à la main, maintenues uniquement à bout de doigt se balançaient en cadence avec se démarche lourde et lente. C’est que se déplacer dans le sable, aussi sec fut-il, n’était pas d’une évidence toute simple. En marchant, elle écouta les vagues. Pas trop loin de son point d’entrée sur la plage, elle décida de laisser ses affaires. Elle déposa donc son sac, ses souliers, rangea son baladeur fétiche dans une poche, pour le protéger des grains qui pourraient s’infiltrer dedans avec la brise. S’il lui arrivait malheur, Pearl en serait triste. Vraiment très triste. Trop triste, pour coller à la réalité.

Elle se retourna alors vers l’étendue salée, et avança doucement vers elle, comme si elle essayait de dompter un animal sauvage. Elle ne pensait pas trop aux pas qu’elle faisait pour s’approcher, elle faisait surtout attention à ne pas s’approcher trop vite. Bien entendu, elle savait nager, pas folle la guêpe ! Mais chat échaudé craint l’eau froide, et notre brunette, échaudée depuis un âge très jeune, ne nageait qu’en cas de nécessité. Pour l’instant, elle se trempa juste les pieds dans les premières vagues.

C’était amusant, et ça chatouillait drôlement les pieds. Le sable se retirait avec la mer, puis revenait caresser la peau pour repartir dans l’autre sens.

Ne se préoccupant pas de choses aussi terre à terre, Pearl en était à philosopher sur les relations qu’elle entretenait avec les gens. Trop timide pour aborder les inconnus, elle rougissait pour un oui, pour un non, et le pire, c’est que son frère, à la vanner dès qu’il ouvrait la bouche, n’avait pas tord. Heureusement que Aaron était là pour la soutenir de temps en temps, sinon la pauvre fille aurait fini dépressive avant l’âge de dix ans ! Pourtant, elle savait bien, que ce n’était pas sa faute, à son frère, s’il était si méchant avec elle. Elle ne lui en voulait pas, mais une phrase, plus une remarque, plus un silence… Cela lui pesait drôlement sur le cœur.

Lui avouer ? Jamais ! Il rirait en disant qu’elle se fait des idées, et qu’elle était bien stupide de s’en faire, ça elle en mettrait sa main à couper ! Ou alors il s’énerverait. Au choix. En tout cas, il ne le prendrait pas dans le sens qu’elle aimerait.

En soupirant, elle baissa la tête vers l’eau. Pourquoi est-ce que rien n’est aussi simple qu’une marée ?

Absorbée par les paroles de la mer, Pearl n'avait pas entendu que quelqu'un marchait à se rencontre. Elle essayait d'imaginer quelles aventures avaient pu vivre les poissons et les algues, avec les coraux et les crustacés à l'autre bout de la planète (bizarre, vous avez dit bizarre? )

Pour en revenir aux choses plus terre à terre et à proximité donc, une jeune personne s'approchait de Pearl qui comme d'habitude, n'était pas attentive. Lorsque la jeune fille lui adressa la parole, l'appelant par un prénom qui n'était pas le sien, elle commença d'abord par tourner la tête, surprise que deux nouvelles têtes soient si proches d'elle, puis ensuite, n'en voyant qu'une qui était bien fixée sur elle, elle resta ébahie.

Elle regarda partout autour d'elle, et se désigna du doigt, formant avec les lèvres des mots silencieux qui ressemblaient à un « Quoi? Moi? » Puis l'apparition s'excusa de l'avoir prise pour une autre.

Comment? Pearl? Ressembler à une autre? On voyait bien qu'elles n'avaient jamais échangé de mots toutes les deux. Pearl s'empressa d'essayer de la rassurer. « Oh, c'est... C'est pas grave... pas grave du tout... Ahah! » Elle essaya de rire pour cacher son malaise. Elle avait tenté, maladroitement de sortir de l'eau, et bien entendu, failli se vautrer sur la plage telle une mouette qui loupe son piqué vers un détritus dans le sable. Plus gauche, tu meurs!

Une fois qu'elle eu réussi à reprendre son équilibre, et qu'elle eu bien conscience qu'elle ne pourrait pas rattraper sa première impression, elle lui adressa un sourire faiblard, doublé d'un regard d'excuse. Si après ça, Riley ne la prenait pas pour une échappée du zoo...

« Je suis... ravie... Riley... » articula-t-elle faiblement. « Je suis Pearl. Pearl Newton. » continua-t-elle, toujours avec sa voix minuscule.

A aucun moment, elle n'avait osé lever le regard vers sa vis-à-vis. Elle louchait vers le bas de ses pieds, trop timide et réservée pour qu'elle ose penser qu'on lui octroierait ce droit. Elle ne savait pas trop comment continuer la conversation, histoire de redorer un peu son blason auprès de la nouvelle venue. « Euh... Ton amie... Aime venir sur la plage? » Façon comme une autre de nouer la conversation.

Pearl loucha vers l'endroit où elle avait laissé son sac tout à l'heure. A priori rien n'avait bougé, mais si une personne avait réussi à l'approcher de si près, peut-être que d'autres avaient tenté de s'approcher de ses affaires aussi. Elle osa un bref regard furtif vers la brune en face d'elle, et fut étonnée par son visage. « Tu sembles... Triste... C'est pour ça que tu viens à la plage? » Demanda-t-elle, poussée par la curiosité. Ou juste parce qu'elle était incapable de réfléchir tout bas? En tout cas, elle se rattrapa aussi sec en s'excusant à sa manière « Enfin, si tu ne veux pas répondre, ne le fais pas. Ce ne sont pas mes affaires, je sais. » Elle se toqua la tête, comme l'auraient fait ses camarades de classe.

Elle avait bien entendu aussitôt tourné son regard ailleurs, vers l'immensité bleue. C'était plus un réflexe qu'une mauvaise idée. Supporter le regard des gens était impossible pour la jeune fille. Même si l'envie ne lui manquait pourtant pas.

« Oh » avait soufflé Pearl, lorsque Riley lui avait avoué que son amie, Leila donc, venait ici se recueillir. Elle avait donc un point commun avec elle. Pourtant, elle n’avait jamais vu personne, lorsqu’elle était venue. Elles ne devaient pas avoir les mêmes horaires ou les mêmes lieux privilégiés.
Alors comme ça, Riley écrivait. Pearl avait envie de lui demander ce qu’elle écrivait, et lui demander la permission de lire quelques passages. Mais elle se retint, trop peu sûre d’elle. C’était incroyable comme même les gens gentils avec elle lui faisaient peur. Pearl fut, comment dire… Etonnée n’est pas le mot, mais presque, d’apprendre que Riley était toujours comme ça, toujours avec un air triste. « Oh » murmura Pearl encore une fois.

Mais la suite de l’entretien fut plus riche cette fois. Pearl ne s’était pas attendue à ce que son demi-frère vienne dans la discussion. Evan avait donc des amis. Pas étonnant en même temps, il passait tellement peu de temps à la maison, qu’il était évident qu’il s’était créé un cercle plus chaleureux à l’extérieur.

Elle avait tourné un regard plein d’interrogation vers Riley. Comment connaissait-elle Evan ? Etaient-ils amis ? Est-ce qu’elle pourrait lui dire qu’il était heureux quelque part ? Est-ce que Evan avait déjà répandu son venin la concernant ? Elle n’aurait pas été étonnée que Riley l’évite à l’avenir. « Euh… C’est que… C’est que Evan et moi on… » Ne trouvant pas ses mots, Pearl hésita, cherchant des yeux si ses mots pouvaient sortir du sable, comme des bulles remontant à la surface. « Evan et moi, on ne se parle presque pas. On ne se voit pas, et… et je crois qu’il… » Pearl soupira. C’était si douloureux d’admettre une chose pareille. Elle serra les poings, alors qu’elle fixait toujours le sol.

Riley était assise devant elle. Et Pearl, les jambes toujours mouillées, était restée debout. A ce moment, elle n’avait pas l’idée de s’assoir. Elle était trop préoccupée par sa relation avec son frère. Elle n’arrivait pas à mettre de mot sur cette relation catastrophique. Finalement, sentant que ses jambes ne la porteraient pas assez longtemps, elle opta pour s’agenouiller à coté de Riley, et évita soigneusement son regard, alors que le sien s’embuait. « C’est que… Evan et moi, on ne se voit que très rarement. » Eluda-t-elle. « Je ne sais pas où il est. » Termina-t-elle, avec une voix aux accents chevrotants. Mais s’il n’était pas avec ses amis, où pouvait-il être ? Elle avait beau savoir qu’il faisait son possible pour l’éviter un maximum, elle espérait tout de même que rien de grave ne lui soit arrivé. Parce que mine de rien, Pearl aimait son frère, elle. Et elle s’inquiétait de tout ce qu’il pouvait faire. « C’est… C’est un peu dur à vivre… en fait. » avoua-t-elle, comme si elle allait se mettre à tout raconter. Mais elle est resta là.

Elle releva pourtant un regard plein d’espoir vers Riley. Ses mains se torturaient l’une l’autre sur ses jambes. Et elle posa une question qui lui brûlait les lèvres depuis tout à l’heure « Est-ce que… » Encore une fois, les mots fuyaient sa bouche, comme l’huile fuit l’eau. Elle grimaça et se fit violence pour pousser sur sa voix, afin qu’elle soit audible et claire. « Est-ce que… Est-ce que Evan sourit, quand il est avec toi ? Je veux dire… Est-ce qu’il est heureux avec ses amis ? » C’était vraiment important qu’elle le sache. « Il ne sourit jamais… A la maison… » murmura-t-elle, comme pour expliquer sa question et ses motivations.

Pearl apprécia les efforts que faisait Riley pour lui remonter le moral et tenter de la déculpabiliser. « Merci, mais je sais que c’est ma personne, c’est vraiment moi qu’il n’aime pas. » Affirma-t-elle avec un sourire triste. « Et je ne saurais expliquer pourquoi, mais je le comprends. C’est juste que… juste que… » Elle soupira pour éviter de craquer plus avant « J’aimerai juste qu’il crie un bon coup, et qu’on devienne une vraie famille. » avoua-t-elle. Il était vrai qu’à l’éviter comme il le faisait, c’était comme s’il la fuyait. Pearl ne pensait pas être horrible au point qu’on la fuie, quelque soit la haine qu’Evan lui vouait. Elle se doutait bien que tout ceci avait un rapport avec leurs mères respectives. Et elle ne doutait pas une minute que la sienne lui manquait. Mais elle ne s’expliquait pas pourquoi il la détestait plus que ses parents.

Elle accueilli avec plaisir la phrase qui lui révéla que son frère pouvait sourire. Elle avait cru qu’il en était devenu incapable depuis la mort de sa mère. Elle fut rassurée qu’au moins quelque part, il se sente assez bien pour sourire aux gens.

« Plus sociable ? Qu'Evan ? » Répéta-t-elle étonnée, la bouche béante. Les bras lui en seraient tombés s’ils n’avaient pas été bien accrochés à ses épaules. C’était bien la première fois qu’on lui disait ça. Franchement abasourdie, Pearl ne reprit contenance qu’en s’apercevant que sa camarade avait du sang sur la bouche. « Tu… Tu saignes… là. » la prévint-elle doucement, en pointant le doigt vers sa propre lèvre.
Elle repartit aussitôt dans ses pensées. Son doigt devant ses lèvres s’y était posé, cherchant bien ce qu’elle avait pu dire de plus ou de moins par rapport à d’habitude. « C’est que… C’est la première fois qu’on me dit que je suis sociable… » s’étonna-t-elle… C’était vraiment… agréable qu’on lui fasse un compliment. Que quelqu’un d’autre que ses amis lui fasse un compliment.

Elle était partagée entre le bouleversement et la joie. Pour une fois, on ne la trouvait pas excentrique, spéciale, ou bizarre. Fronçant doucement les sourcils, elle se mit quelque peu sur la défensive. « Tu es sûre ? Parce que d’habitude, je suis plutôt la fille qu’on évite. Je ne pense pas être sociable, au contraire. » soupira-t-elle. Mais ça ne lui faisait plus mal de le dire, ça elle l’avait compris, et elle était passée par-dessus, grâce à Aaron et Keisha. En fait, elle se mit même à sourire, et remercia Riley, pour sa gentilesse, et le fait qu’elle semble bien s’occuper de son frère. « Tu es vraiment gentille. Merci beaucoup. J’espère que mon frère sait ce qu’il à coté de lui. » Elle avait un sourire doux en gentil aux lèvres, pour une fois, elle n’avait plus une trace de peur ou de timidité sur son visage. Uniquement de la sincérité. Elle aurait aimé pouvoir le faire elle-même, mais comme Evan ne voulait pas qu’elle s’approche, et qu’elle n’avait pas le caractère à s’imposer, ni par la force ni par aucun autre moyen, elle avait espéré que quelqu’un à l’extérieur en était capable.
« Oh, raconte-moi comment vous vous êtes rencontré ? Je veux savoir comment il est dehors. Il est tellement… Furieux… quand je suis dans son environnement... J’ai du mal à l’imaginer gentil et détendu. » C’était presque une prière. Mais Pearl s’était rapprochée un peu de Riley, un peu plus confiante. Peut-être qu’elle trouverai ici une nouvelle amie qui ne la jugerait pas sur ses croyances… en même temps, tant que le sujet ne tombait pas sur le tapis, elle ne risquait pas de l’évoquer elle-même. Chat échaudé craint l’eau froide, et Pearl avait été très souvent échaudée par le passé.